L'Humanité, Mercredi 10 août 2016, Sénégal. Prise de conscience tardive sur les mariages précoces

Jeudi 25 août 2016 - 16:10

Casamance Avec l’excision, la lutte contre les unions forcées fait partie des combats menés par les grands-mères sénégalaises. Dans les villages du département de Vélingara, les mariées ont souvent 12, 13 ans.

Vélingara (Sénégal), envoyé spécial.  Quel âge a-t-elle ? Elle dit avoir 23 ans et une fille de 15 ans déjà mariée. Impossible évidemment. Comme c’est souvent le cas dans les communautés pauvres et isolées du Sénégal, comme dans ce village de Mountoumba en Casamance, les enregistrements des naissances sont faits très tardivement et le temps est une notion très vague. Ce qui est certain, c’est que Bigue Baldé ne doit guère dépasser la trentaine et qu’elle est déjà mère de huit enfants dont l’un est décédé. « Mon papa m’a donné à un homme beaucoup plus âgé que je ne voulais pas épouser. Il l’a exigé. Aujourd’hui, je me dispute tous les jours avec mon mari », raconte-t-elle en manipulant son téléphone portable.

Dans le monde, une fille sur quatre est mariée avant 18 ans. Le Sénégal n’est pas épargné. « Les mariages précoces sont extrêmement répandus dans le sud du Sénégal, surtout chez les Peuls, deuxième ethnie du pays. L’enfant est donné en mariage entre 12 et 14 ans », explique Ousmane Tabara, de l’ONG Vision du monde à Vélingara. « Il s’agit de conserver la réputation de la famille en évitant les grossesses précoces avant les unions. Si la fille ne va plus à l’école, il faut également la marier tôt, sinon la dignité de la famille est atteinte », ajoute sa collègue Éveline Coly. Au Sénégal, le mariage est interdit avant 18 ans pour les garçons et 16 ans pour les filles. Un projet de loi est en cours pour relever ce dernier seuil à 18 ans. Mais les unions précoces sont célébrées religieusement par des imams.

Maimouna Baldé, membre du réseau des grands-mères (voir ci-contre), mène des actions de sensibilisation sur ces mariages. « Nous disons que cela met en danger la vie de ces enfants lors des grossesses », dit-elle. « Leurs bassins sont immatures. Sans césarienne, le risque de mortalité maternelle et infantile est élevé », détaille Félix Diouf, médecin chef à Vélingara. « Nous réussissons à nous faire entendre. Après observation, les hommes reviennent nous dire que nous avions raison », poursuit Maimouna Baldé. Dans les 32 villages du département de Vélingara, où les ONG Vision du monde et The Grandmother Project mènent depuis 2008 des actions contre les mariages précoces, la moyenne de ces unions serait passée de 15 ans à presque 17 ans.

Damien Roustel, L'Humanité, Mercredi 10 août 2016, Sénégal. Prise de conscience tardive sur les mariages précoces.